Comme tous les ans se tient la Longue Marche. Cent jeunes hommes américains de moins de 18 ans se mettent en marche à la frontière du Maine et du Canada, direction le sud. Quelques règles simples régissent cette marche : interdiction de s’arrêter, de dévier de la route ou de ralentir sous la vitesse limite de 6 km/h. Si un marcheur brise une de ces règles, il reçoit un avertissement. Au bout de trois avertissements, toute nouvelle infraction entraînera son élimination de la marche. Marcher une heure sans infraction permet d’éliminer un avertissement. Comme prix pour le vainqueur : une forte somme d’argent et la réalisation de n’importe quel souhait.
Sur le principe on pourrait se dire que ça fait une chouette balade du dimanche… Sauf que toute élimination de la marche est définitive, assurée par une armée de soldats impassibles : une balle dans la tête, et nous voilà traîné sur le bas côté et mis dans un sac…
Imagine….
Imagine partir un beau matin de printemps, avec 99 autres jeunes gens, tous volontaires, comme toi. Tu te sens bien, en forme, bonne condition physique, tu vas pouvoir marcher pendant des heures. Tu peux gagner ! Tu as droit à de l’eau à volonté, et une ceinture bourrée de tubes de nourriture concentrée tous les matins à 09 heures. Tu rigoles avec les garçons d’à côté, des liens se nouent.
Imagine le premier coup de feu. La réalité qui te rattrape. Et le début du questionnement : mais qu’est ce que je fais là ? Mais tu marches, tu es bien, un de moins et tu n’es pas fatigué, pas encore.
Imagine le premier coup de fatigue, au bout de quelques heures. Marcher c’est facile. Tu sais faire. Mais marcher tout le temps ? Il faut gérer ses besoins naturels, son sommeil, sa fatigue… Tes jambes commencent à tirer un peu, mais tu es globalement en forme. Tu dormirais bien un peu, cependant. Plusieurs sont partis, mais toi tu es toujours là.
Imagine la première nuit. Les coups de feu qui te réveillent. L’interrogation : qui a eu son ticket ? Quelqu’un que tu connais ? Un de tes nouveaux amis ? Quelqu’un de fort, de faible ? Et pour quelle raison ?
Imagine la douleur dans tes jambes après la deuxième nuit, la perte de tes chaussures, l’état de tes pieds, cette fatigue permanente, la peur constante de la crampe.
Imagine le bruit de la foule, continu, oppressant, étouffant, de plus en plus fort à mesure que vous avancez, à mesure que vous diminuez en nombre.
Imagine se lever un autre jour, et voir un de tes amis mourir sur la route, et t’en réjouir, un peu. Un de moins…
Imagine marcher, encore et encore…
« Marche ou crève » est un livre particulier à plusieurs titres.
Déjà, le titre original choisi par l’auteur Richard Bachman, « The Long Walk », est bien mieux trouvé que la traduction française choisie. Le titre anglophone a l’avantage de ne pas spoiler l’histoire (même si on comprend vite de quoi il s’agit), et fait porter le sujet du livre sur le principe de la Longue Marche elle-même, pas sur ses conséquences.
Ensuite, on ne sait absolument pas pourquoi ni comment a été mise en place cette marche. On est visiblement dans un future proche et il est fait mention d’un grand Changement. La Marche est visiblement orchestrée par l’armée, à la tête de laquelle se situe le Commandant, adulé par le peuple et les Marcheurs, du moins au début… Si les familles des marcheurs volontaires essaient vaguement de les faire changer d’avis, la foule humaine compacte qui vient les acclamer et les voir mourir prend plaisir à l’épreuve, comme les spectateurs aux jeux du cirque.
Enfin, c’est très bien écrit. Les quelques personnages qui sont décrits sont vraisemblables et attachants, et le rythme d’écriture suit l’état physique des marcheurs. Au début on a beaucoup de détails sur le temps qui passe, l’heure qu’il est, le temps qu’on vient de marcher. Les kilomètres passent lentement, le temps aussi, l’auteur insiste beaucoup sur la première journée. Au fil de la lecture, avec l’état physique des marcheurs qui évolue et qui se détériore, on perd un peu la notion du temps, on ne parle plus vraiment en terme d’heure de la journée, on se concentre sur le temps qu’il reste avant la fraîcheur de la nuit, le temps qu’il faut pour perdre un avertissement. Les kilomètres passent plus vite dans la deuxième moitié de l’histoire, on s’attache sur quelques événements et on fait des bonds le long de la Longue Marche. Cette évolution de la perception temporelle que l’on a de l’histoire ajoute un sentiment un peu oppressant au récit, on se sent désorienté, et ça nous rapproche d’autant des personnages.
« Marche ou crève » est un de mes livres préférés, et je le redécouvre à chaque lecture. La fin est sombre à souhait, comme dans presque tous les livres de cet auteur. Parlons un peu de lui, d’ailleurs…
Richard Bachman a écrit 7 livres, dont les très bons « Rage » et « Running Man ». Il a écrit également plein d’autres livres sous un pseudonyme, Stephen King ( vous connaissez ? ). Je ferai un article sur mes lectures Kingesques bientôt, il y en a plein…
Bref, je vous conseille la lecture de « Marche ou crève » sans hésiter !