Quand j’ai rencontré Samuel Vimaire, c’était un simple officier du guet de nuit, alcoolique, effondré dans un caniveau d’Ankh Morpork, occupé à maudire la ville et l’univers pour sa misérable existence.
Disons que ça n’a pas vraiment été un coup de foudre.
Toujours en colère, possédant un degré de cynisme rarement égalé, et une vision noire et très rationnelle de l’humanité, Samuel est de ces personnes qu’on n’a pas envie d’avoir à côté de soi aux repas de famille.
En tout cas au premier abord.
Car en grattant la couche très épaisse de réelle antipathie dont il se drape comme d’une cape chaude, on découvre une personne profondément misanthrope. Toujours cynique, toujours en colère, mais misanthrope.
Samuel est né pauvre, il a vécu presque toute sa vie pauvrement, et il s’est engagé dans le guet de nuit car c’était un boulot simple qui consistait à marcher dans les rues et à secouer une cloche toutes les heures en criant que tout va bien, à se faire discret et à s’enfuir quand il y a du grabuge.
Initialement capitaine d’un guet municipal qui comptait alors uniquement 3 membres, lui inclus, un des soucis de Samuel est son incapacité à ne pas dire tout haut ce qu’il pense tout haut aussi, à laquelle s’ajoutent une phobie administrative et un mépris quasi-haineux pour l’aristocratie.
Samuel Vimaire vit pour une justice, qu’il croit immanente, son maintien et son respect, tout en étant persuadé que l’humanité dans son ensemble (et ça englobe les hommes, les trolls, les nains, les vampires, les dieux, etc…) est corrompue. Il défendra toujours les faibles, les opprimés, les moins que rien, contre les nantis et les puissants qui croient que la justice se monnaie.
Et puis au fil des ans Samuel monte en grade, devient commissaire divisionnaire du guet, puis Duc d’Ankh en épousant Sybille, dresseuse de dragons et accessoirement la noble la plus riche d’Ankh Morpork. Tous ces titres l’horripilent au plus point, lui donnant l’impression d’être un traître à sa caste, à la rue, au peuple.
Vimaire avait passé son existence dans les rues, il y avait croisé de braves citoyens, des idiots, des vauriens prêts à voler un sou à un mendiant aveugle, des gens qui accomplissaient tous les jours des miracles en silence ou commettaient des crimes abominables derrière les fenêtres crasseuses de leur petites maisons, mais il n’avait jamais croisé le Peuple.
Ceux qui se rangeaient dans le camp du Peuple finissaient toujours par être déçus, de toute manière. Ils trouvaient que le Peuple était rarement reconnaissant, élogieux, prévoyant ou obéissant. Le Peuple était souvent étroit d’esprit, conservateur, pas très malin et même méfiant envers l’intelligence. Les enfants de la révolution étaient ainsi confrontés au problème ancestral : on n’avait pas le mauvais type de gouvernement, c’était évident, on avait le mauvais type de peuple.
Voilà rapidement pour la description de Sire Samuel.
Ce qui me passionne chez Vimaire, c’est la bête qui est en lui. Il est véritablement empli de violence et de colère, de rage, et cette masse de violence a sa propre personnalité, sa propre vie, ses propres pensées sous le crâne de Samuel. Pour éviter d’exploser, ou de tuer le premier crétin qui vient se plaindre de ses querelles de voisinage avec l’équivalent disque-mondial du poing américain, le policier s’est créé son propre flic. On le comprend aisément quand on le connait un peu, mais c’est flagrant lorsque qu’une entité millénaire et maléfique, les ténèbres qui convoquent, essaie de se servir de lui pour arriver à ses fins (funestes, les fins), et se heurte à un mur.
– Qui es-tu pour m’arrêter?
– Il m’a créé. Quis custodiet ipsos custodes? Qui garde les gardiens? Moi. Je le garde. Toujours. Tu ne le forceras pas à commettre des meurtres pour toi.
– Quelle espèce d’humain crée son propre flic?
– Un humain qui craint les ténèbres.
– Il faut qu’il les craigne, dit l’entité avec satisfaction.
– En effet. Mais je crois que tu ne comprends pas bien. Je ne suis pas ici pour empêcher les ténèbres d’entrer. Je suis ici pour les empêcher de sortir.
Samuel Vimaire est, comme tous les autres personnages, un exutoire de Terry Pratchett, celui qui lui permet d’aborder à la fois les aspects sombres de l’espèce humaine, et ses plus grandes forces. Le pire et le meilleur de l’homme.
Sam Vimaire est un condensé d’émotions très fortes, primaires, naïves, qui le rendent infiniment attachant. Et qui m’ont fait tomber amoureuse d’un personnage de roman…
– Ils ont tué mon fils, répondit Croutenfer.
Un poignard s’enfonça dans la tête de Vimaire. Il glissa le long de sa trachée, lui trancha le coeur, lui transperça l’estomac et disparut. La rage céda la place à un frisson.